Pour remercier Jean Roiné, bénévole non-voyant de l’association Valentin-Haüy (AVH-NC), de les avoir initiés au braille, des élèves du collège Edmée Varin d’Auteuil ont partagé avec lui un déjeuner gastronomique. Singularité de ce repas : à part Jean, tous les convives avaient les yeux masqués.
Jeudi 10 octobre, les douze élèves de l’atelier braille du collège d’Auteuil avaient rendez-vous au restaurant d’application de la Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté) de leur établissement. La leçon du jour : se mettre dans la peau d’un non-voyant en portant un masque occultant le temps d’un repas dégusté « à l’aveugle ». Egalement présents à l’appel, des professeurs et personnels du collège, les élèves de 4e et 3e Segpa option HAS (Hygiène, alimentation, service), encadrés par leur professeur de cuisine Matthieu Deniaud, et Christel Rossi, l’enseignante spécialisée à l’initiative de l’atelier braille.
Les enfants et Jean, à table !
Les collégiens ne se sont pas fait prier pour prendre place autour de la grande table dressée sur la terrasse du restaurant. Ils ont tenu à remercier leur mentor en lui offrant un panier garni de provisions. Sur chacune d’elles, ils ont pris soin d’inscrire le contenu en braille. Ils lui ont aussi remis un livre de contes Kanak, le fruit de leurs 7 séances d’apprentissage. Touché par ce geste, Jean leur a répondu en slam, sa spécialité. « Ce repas est leur récompense. C’est censé être une surprise, mais comme c’est la 3e fois que nous l’organisons, ils se sont passés le mot ! », confie Christel. Une fois masqués, les enfants s’étonnent : « je ne sais pas si je vais pouvoir le supporter, c’est angoissant ! », lance Hugo.
Les mains dans le plat
Mais il reprend ses esprits avec l’arrivée de l’entrée : une salade de papaye verte aux agrumes et crevettes. « C’est bizarre comme goût, on dirait de la carotte », poursuit le collégien. « Il y a de la crevette, j’aime tout ! », commente son voisin. « C’est quoi ce truc gluant, où est ma serviette ? », demande Kieran en touchant du doigt un quartier de pamplemousse. Après chaque bouchée, les voix s’élèvent de plus en plus fort, comme si le masque avait fait tomber toute retenue. Certains ont la bouche pleine à craquer. « C’est super compliqué, ça ne doit pas être beau à voir ! », s’excuse Audrey. La gestionnaire du collège cherche des mains la carafe d’eau et tente, tant bien que mal, de se servir sans faire déborder son verre. En face d’elle, Jean, très à son aise, déguste la papaye râpée avec délicatesse…
Des odeurs épicées
« Que ceux qui ont terminé lèvent la main ! », lance Matthieu, au service avec ses élèves. Un éclat de rire se fait entendre : en voulant avancer leur banc tous ensemble, les professeurs réalisent qu’il est fixé à la table. Les odeurs épicées du plat principal – un poulet sauté curry coco – mettent les convives en émoi. « Il y a des pommes de terre », remarque une élève. « C’est du riz ! », rétorque sa voisine. Les assiettes se vident en un clin d’œil, aucun aliment ne semblant rebuter ces jeunes appétits délicats. Le dessert, des choux copieusement fourrés en chantilly, fait l’unanimité. Le repas terminé, Christel ne cache pas son émotion : elle quitte le collège pour d’autres horizons. Tandis que les élèves enlèvent leur masque, Jean reprends sa canne blanche. D’autres repas à l’aveugle l’attendent…