Pascal Jacob a rencontré les acteurs de la santé et du handicap en Nouvelle-Calédonie.
Il y a dix ans naissait la Charte Romain Jacob, guide éthique à destination des acteurs du soin. Ses 12 grands principes visent à optimiser l’accès aux soins et le parcours de santé des personnes vivant avec un handicap. Pascal Jacob, qui en est à l’initiative, s’est rendu en Nouvelle-Calédonie début décembre à l’invitation du Gouvernement. Il s’est confié à Handicap.nc.
Quel est le but de votre visite ?
Pascal Jacob : Nous sommes venus à l’invitation du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Notre association, Handidactique, a pour mission de déployer la Charte Romain Jacob. C’est la première fois qu’on va si loin. Je suis accompagné de Vesna Virijevic qui est chargée, depuis 3 ans, de déployer cette charte en tant qu’élément légal de certification des lieux de soin. Au niveau national, nous avons créé 26 comités et un conseil national que je co-préside avec le directeur général de la caisse nationale d’assurance maladie. Nous visitons les lieux de soin et les personnes vivant avec un handicap, les associations et les organisations de sécurité sociale.
Ici, nous avons visité l’île de Lifou. Nous avons signé la charte Romain Jacob au Médipôle, le 8 décembre. Le Dr Nicolas Molko a été nommé responsable du comité régional qui est composé d’une vingtaine de personnes issues de la Cafat, du Gouvernement, de la médecine de ville, des associations… Tout le monde a été mis autour de la table ! Vesna va accompagner ce comité pour définir les progrès à accomplir et les priorités.
Comment est née la Charte Romain Jacob ?
J’ai été appelé à faire des rapports d’état après avoir rencontré des difficultés majeures en accompagnant en réanimation Romain, l’un de mes deux fils lourdement handicapés. Je me suis aperçu que l’hôpital était en totale incapacité de l’accompagner. J’ai transformé la souffrance que j’ai ressentie avec mes enfants en énergie. Je me suis adressé à Xavier Bertrand, alors ministre de la santé. Il m’a confié une mission d’état pour accompagner dans les hôpitaux les personnes vivant avec un handicap. Cela a permis de créer l’hospitalisation à domicile. En 2012, Roselyne Bachelot m’a demandé de faire un rapport sur l’accès au soin des personnes vivant avec un handicap.
En tournant un film à la Réunion, avec les partenaires de la santé, nous avons pris la décision d’écrire une charte éthique sur l’accès à la santé des personnes vivant avec un handicap. Chantal de Saint-Guy, de l’agence régionale de santé, m’a demandé de revenir la signer à la Réunion. Juste avant de partir, mon fils a été refusé par un hôpital et il en est mort. Marie-Sol Touraine m’a proposé de donner le nom de Romain à cette charte que nous venions de rédiger. Tout le monde a voulu la signer. Elle a été signée 2 300 fois rien qu’en France. Aujourd’hui, elle est appliquée dans 21 pays et ça va continuer.
Vous avez créé une application, Handifaction, avec un questionnaire. Quelles en sont les thématiques ?
Les personnes vivant avec un handicap m’ont dit : la charte ne va rester qu’un papier sur un mur et personne ne va s’engager. Et là, j’ai eu l’idée que ce soit eux qui évaluent la charte. Depuis novembre 2015, Handifaction recueille et porte la voix des personnes vivant avec un handicap qui, grâce à ce questionnaire, sont directement impliquées dans la défense de leurs intérêts. Il est accessible via une application que tout le monde peut télécharger gratuitement et porte sur quatre thématiques fondamentales.
C’est d’abord avoir accès à un soignant, c’est-à-dire ne pas subir de refus. C’est ensuite la possibilité d’avoir un accompagnant pendant le soin, comme l’exige la loi, mais aussi la nécessité d’être informé des soins prodigués et d’en être codécideur. C’est enfin la prise en compte du ressenti de la douleur.
Quelles avancées concrètes ont pu être réalisées depuis sa mise en application ?
Sur les mille premiers questionnaires, on s’est rendu compte que seulement 40 % des personnes interrogées avaient un accès aux soins, elles n’étaient que 20 % dont on acceptait l’accompagnement et seulement 5 % pour la prise en compte de la douleur. Environ 10 000 personnes par an nous ont fait un retour sur cette application. Du jour où on a mis les résultats en ligne, on est passés à 20 000 par an. Les médecins nous ont alors posé trois conditions : être formés au handicap, ce qui n’était plus le cas depuis 1975, être aidés et être payés pour le surplus de travail.
Aujourd’hui, 29 000 jeunes médecins ont été formés au handicap dans 21 universités. Une aide financière leur est accordée grâce à Handiconsult ou Handisoins. Nous avons mis en place une consultation de loi allant en ce sens. Aujourd’hui, au bout de 10 ans, nous sommes à 80 % de gens soignés, 85 % de gens accompagnés, 70 % de gens à qui on explique le soin et 50 % pour la douleur. Nous avons encore énormément à faire dans la formation, le management, le soin à domicile ou encore le diagnostic anténatal…
Quel est votre constat à l’issu de vos rencontres sur le territoire ?
Il y a une marge de progrès époustouflante en ce qui concerne l’accueil et l’accompagnement des personnes vivant avec un handicap en Nouvelle-Calédonie. Toutefois, il y a quelque chose d’extraordinaire ici : on n’a pas encore fait les erreurs de la métropole. Mandela a dit qu’il y a 3 erreurs essentielles : la discrimination, l’injustice et la solitude subie, la mise à l’écart. En Calédonie, cette dernière est beaucoup moins forte, même si le handicap reste encore très caché. L’inégalité aux soins est une forme d’injustice. Il ne faut plus mettre personne à l’écart parce qu’il est différent.
La Charte Romain Jacob est disponible sur le site de l’association Handidactique.